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mercredi 24 septembre 2025 à 17h30

« Sans sanctions immédiates, vous finirez par reconnaître un cimetière » : pourquoi la reconnaissance de la Palestine appelle d'autres mesures d'urgence

Face au risque d'une occupation de la Cisjordanie par l'armée israélienne, la reconnaissance de la Palestine doit s'accompagner de sanctions pour qu'elle l'autonomie puisse être effective.© REUTERS/Eduardo Munoz

L'annonce de la reconnaissance de l'État de Palestine par la France a provoqué l'ire de l'occupant israélien qui menace d'occuper la Cisjordanie. Il n'y aura pas d'autonomie effective sans imposer des sanctions à même d'isoler un régime qui colonise et génocide en toute impunité.
Bezalel Smotrich n'est né ni de la dernière pluie ni du 7 Octobre. Le colon d'extrême droite, devenu ministre des Finances, connaît ses classiques et ne cesse d'ailleurs de s'y référer. En mars 2023, sept mois avant l'attaque terroriste du Hamas, il livre déjà le fond de sa pensée : « Le peuple palestinien est une invention de moins de cent ans. Est-ce qu'ils ont une histoire, une culture ? Non, ils n'en ont pas. Il n'y a pas de Palestiniens, il y a juste des Arabes. »
Comprendre : si les Palestiniens n'existent pas, pourquoi auraient-ils droit à un État ? L'effacement de ce peuple ne remonte pas au gouvernement de Benyamin Netanyahou. Issue des rangs travaillistes, l'ancienne première ministre (1969-1974) Golda Meir explique : « Comment pourrions-nous rendre les territoires occupés ? Il n'y a personne à qui les rendre. » Nous sommes alors deux ans après la guerre des Six-Jours de 1967 qui a permis à l'armée israélienne de prendre le contrôle de Jérusalem-Est et d'occuper la Cisjordanie et la bande de Gaza, étendant ainsi son contrôle sur la quasi-totalité de la terre revendiquée originellement par le mouvement sioniste.
Une fois cette carte mentale posée, on peut aisément comprendre que l'annonce par la France de la reconnaissance de l'État de Palestine lors d'une conférence, le 22 septembre prochain, à l'occasion de l'Assemblée générale des Nations unies, suscite l'ire du premier ministre israélien et de sa coalition. Eux qui ont fait du choc - réel - du 7 Octobre l'équivalent israélien d'un 11 Septembre leur permettant de reléguer la question palestinienne à un problème sécuritaire, de soumettre Gaza à un blocus total et d'annihiler toute perspective d'autonomie. La réponse militaire s'est pourtant muée en projet génocidaire dans la bande de Gaza.

Le message de Paris à l'extrême droite israélienne
Le nombre de morts dépasse désormais les 63 000 à Gaza, 500 000 personnes sont directement menacées par la famine et la Cisjordanie est guettée par l'annexion : face à l'horreur du siècle, le président français, Emmanuel Macron, estime que le temps de la reconnaissance est « venu ». Si la diplomatie française parle de longue date d'un État palestinien sans jamais être passée à l'acte, ce mouvement soudain pourrait notamment s'expliquer par l'attentisme de l'Union européenne et la volonté de « sceller définitivement la création future d'un État palestinien. Cela nous permet de dire à l'extrême droite israélienne : votre objectif de voir les Palestiniens quitter leur terre est un mythe, cela n'arrivera pas », selon une source proche des autorités françaises, citée par le site Middle East Eye.
La reconnaissance d'un État de Palestine est non seulement la condition préalable à la paix mais également la réparation de l'injustice historique qui avait vu, en 1948, l'État d'Israël créé par l'ONU s'étendre sur 56,5 % du territoire. L'État palestinien, qui devait exister sur seulement 43,5 % des terres, ne s'est lui jamais concrétisé. Et ce malgré les accords d'Oslo de 1993, qui prévoyaient la création, cinq ans plus tard, d'un État de Palestine sur 22 % de la Palestine historique, dans les frontières de 1967, mais ont, dans les faits, renforcé les mécanismes de contrôle colonial. Si l'adhésion pleine et entière lui est refusée, la Palestine est pour l'heure cantonnée au statut d'observateur aux Nations unies.
Elle est toutefois reconnue par 148 des 193 États qui composent l'ONU, majoritairement asiatiques, africains et latino-américains. La France n'est pas pionnière au sein des membres permanents du Conseil de sécurité (la Russie et la Chine ont franchi le pas avant elle) ni même en Europe : l'Espagne, l'Irlande, la Norvège et la Slovénie l'ont fait ces derniers mois, mais elle serait en revanche la première au sein du G7. Dans son sillage, le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande, la Finlande, l'Australie, le Canada, Malte et la Belgique ont annoncé leur intention de faire de même.

Renversement du processus mis en place dans les années 1990
Outre la libération des otages israéliens enlevés le 7 Octobre, la plupart des États posent toutefois leurs conditions : le futur État devra être démilitarisé - une manière d'entendre que la menace est essentiellement palestinienne - et débarrassé du Hamas aux affaires. En revanche, la France ne fait nulle mention de Jérusalem-Est comme capitale, ni de la nécessité de revenir aux frontières de 1967.
Reste qu'à ce stade, la reconnaissance de la Palestine renverse le processus mis en place par les États-Unis durant les négociations de paix des années 1990. Selon ce théorème intangible, l'État de Palestine ne pourrait voir le jour qu'après la fin de l'occupation. Occupation qu'Israël fait sciemment traîner en longueur pour modifier la donne sur le terrain, notamment du point de vue des terres colonisées. A contrario, pour la gauche palestinienne, et notamment le Parti du peuple palestinien (PPP, communiste), la fin de l'occupation doit marquer le début du processus de paix et non sa conclusion.
« Comme il ne pouvait pas annexer la Cisjordanie mais qu'il n'avait aucune intention de la rendre ou même d'accorder aux Palestiniens l'autonomie réelle qui leur avait été promise à Camp David, (Menahem) Begin (premier ministre de 1977 à 1983 - NDLR) a simplement poursuivi l'approche pragmatique des travaillistes en laissant le statut final du pays ouvert, tout en construisant une nouvelle réalité sur le terrain : davantage de routes reliant les territoires à Israël, davantage d'expropriations de terres, davantage d'implantations juives », note le journaliste états-unien Thomas L. Friedman dans De Beyrouth à Jérusalem (éditions Saint-Simon, 2024).
L'an dernier, une résolution inédite de l'ONU, votée par la France, exigeait la fin de l'occupation et de la colonisation dans un délai de douze mois, soit au 18 septembre 2025. Reste à savoir quelle sera l'attitude des États qui s'étaient prononcés en faveur de ce texte à l'issue de l'échéance.

Empêcher l'annexion de la Cisjordanie promise par Israël
La seule reconnaissance de l'État palestinien ne saurait suffire. Bezalel Smotrich a d'ailleurs prévenu : « Si vous reconnaissez un État palestinien en septembre, notre réponse sera l'application de la souveraineté israélienne sur toutes les parties de Judée-Samarie (la Cisjordanie occupée - NDLR). » Parvenir à un État nécessite donc des mesures concrètes. Le document détaillé, issu de la conférence franco-saoudienne qui s'est tenue du 28 au 30 juillet, contient des avancées en termes de souveraineté telle que la révision du protocole de Paris de 1994 qui imposait notamment une dépendance de l'économie palestinienne à l'économie israélienne.
Selon ce texte, le futur État doit pouvoir avoir la main sur ses frontières et ressources naturelles. Cependant, soutient l'historienne Stéphanie Latte Abdallah, dans les colonnes de l'Humanité, « la section consacrée à l'application du droit international semble plus relever de la parole performative que d'actes concrets : sont réitérées des mesures à venir visant à refuser la normalisation de la colonisation de la Cisjordanie (par la non-importation des produits des colonies par exemple), à s'opposer aux violations des droits humains par l'État israélien, en invitant à suspendre les accords multilatéraux ou bilatéraux en cas de non-respect de ceux-ci, à arrêter l'exportation d'armes vers Israël si elles sont utilisées dans les territoires occupés, ou encore à coopérer aux enquêtes de la Cour pénale internationale ».
Enfin, le document ne permet pas, en l'état, de faire cesser le génocide, les déplacements forcés de population et le processus illégal d'annexion de la Cisjordanie. En l'espèce, seules des sanctions politiques, économiques et judiciaires à l'encontre d'Israël et de ses dirigeants suprémacistes se révéleront contraignantes, comme ce fut le cas pour l'Afrique du Sud du temps de l'apartheid.
Elles ont déjà été formulées par le groupe de La Haye, fondé le 31 janvier dernier par des pays du Sud global pour faire respecter les décisions de la Cour internationale de justice (CIJ) et de la Cour pénale internationale (CPI) et protéger le peuple palestinien. Dans une tribune au Monde, l'historien Vincent Lemire et l'ancien ambassadeur d'Israël en France, Élie Barnavi, concluent : « Si des sanctions immédiates ne sont pas imposées à Israël, vous finirez par reconnaître un cimetière. » Manière de dire qu'une reconnaissance de papier n'a jamais préservé aucun peuple de la mort programmée.

Lina Sankari
L'Humanité du 19 septembre 25

Source : message reçu le 20 septembre 05h