mercredi 27 août 2025 à 17h30
L'offensive terrestre contre la ville de Gaza a commencé : mobilisons-nous !
Les Palestiniens se précipitent pour se mettre à l'abri après une frappe israélienne sur un bâtiment à Jabalia, dans le nord de la bande de Gaza, le 20 août 2025. © Photo Bashar Taleb / AFP
Les troupes terrestres israéliennes ont commencé leur conquête de la ville de Gaza. Les habitants attendent le dernier moment pour quitter leurs quartiers, refusant de nouvelles errances vers un sud déjà surpeuplé.
Aller vite. C'est ce que Benyamin Nétanyahou a enjoint de faire, mercredi 20 août. Pas pour répondre à la dernière proposition de cessez-le-feu en date, négociée par le Qatar et l'Égypte et acceptée par le Hamas lundi 18 août, et qui reprend un plan états-unien avalisé par Tel-Aviv.
Ce que le premier ministre israélien veut accélérer, c'est la conquête militaire de la ville de Gaza, décidée le 8 août par le cabinet de sécurité israélien. La décision est une fin de non-recevoir on ne peut plus claire aux centaines de milliers de protestataires qui ont envahi dimanche 17 août les rues d'Israël à l'appel des familles des otages et des victimes du 7-Octobre.
Ces manifestant·es craignent que cette offensive terrestre massive, dans des zones densément peuplées, ne mette en danger la vie de la vingtaine de captifs encore vivants retenus par le Hamas. Les alertes des organisations internationales et des gouvernements étrangers n'ont pas eu plus d'effet.
L'offensive « ne peut mener qu'à un désastre pour les deux peuples et risque de plonger toute la région dans un cycle de guerre permanente », s'est alarmé le président français. Même l'Allemagne, alliée indéfectible de l'État hébreu et deuxième fournisseuse d'armes à Tel-Aviv, juge qu'il est « de plus en plus difficile de comprendre comment ces actions pourraient conduire à la libération de tous les otages ou à un cessez-le-feu », selon les mots du porte-parole du gouvernement Steffen Meyer.
« L'intensification des hostilités à Gaza signifie plus de morts, plus de déplacements, plus de destructions et plus de panique », a averti Christian Cardon, porte-parole du Comité international de la Croix-Rouge, dans un message adressé à l'Agence France-Presse.
Le nombre de victimes est pourtant déjà considérable : jeudi 21 août, le ministère de la santé palestinien recensait 62 192 tué·es depuis le 7-Octobre dans la bande de Gaza. Dont une immense majorité de civil·es, comme le reconnaît elle-même l'armée israélienne. Le quotidien britannique The Guardian révélait en effet ce même jour que des statistiques militaires israéliennes classifiées estiment que 83 % des victimes de la guerre à Gaza sont des personnes civiles.
Contre toutes les alarmes, l'offensive aura lieu
Rien à faire, le sort de la ville de Gaza semble bel et bien scellé. « Le premier ministre Benyamin Nétanyahou a ordonné que les délais prévus pour la prise de contrôle des derniers bastions terroristes et la défaite du Hamas soient raccourcis », a écrit mercredi 20 août son bureau.
Ce même jour, Israël Katz, ministre de la défense, a approuvé le plan « Chariots de Gédéon II », en référence à l'opération, déjà de grande ampleur, lancée après la rupture du cessez-le-feu par Israël le 18 mars. Il a également annoncé le rappel de 60 000 réservistes, uniquement pour conquérir la ville de Gaza. Il en faudra 70 000 de plus, selon l'armée elle-même, pour mener à bien le plan de contrôle au sol de la totalité de l'enclave palestinienne et sa réoccupation.
« Nous n'attendons pas », a indiqué Effie Defrin, porte-parole de l'armée israélienne, reconnaissant par là même que l'offensive a commencé, les troupes israéliennes avançant dans les quartiers est et nord de la ville de Gaza. Selon les propos de l'officier, celle-ci est un « bastion du régime [du Hamas] et du terrorisme militaire ». En somme, un des ultimes repaires du mouvement islamiste qui, après vingt-deux mois de guerre génocidaire, pourrait toujours menacer l'existence et la sécurité d'Israël.
Pourtant, la dernière opération un peu impressionnante des Brigades Ezzedine Al-Qassam, branche militaire du Hamas, a eu lieu non dans la ville de Gaza mais bien plus au sud, près du « couloir de Morag » entre Rafah et Khan Younès. Une quinzaine de militants ont pris d'assaut un poste militaire israélien, avant d'être décimés.
Le « bastion » de la ville de Gaza a par ailleurs déjà été très largement bombardé et détruit. Il a été occupé pour partie par des troupes au sol à plusieurs reprises. Celles et ceux qui y vivent ont reçu à de multiples reprises des ordres de déplacement de la part de l'armée israélienne. Ils ont été affamés, leurs hôpitaux ont été mis hors service, ou ne fonctionnent qu'à une très faible capacité.
Les bombardements n'ont pas cessé depuis la rupture unilatérale du cessez-le-feu par Israël le 18 mars, et des quartiers entiers au nord et à l'est de la ville ont été vidés de leurs habitant·es par les soldats au sol. « Ils ont commencé le 18 mars lorsqu'ils sont entrés dans le nord et l'est de la région de Shuja'iyya et Toufa, explique Amjad al-Shawa, directeur de la Plateforme des ONG palestiniennes, joint à Gaza par Mediapart. Ces derniers jours, ils se sont dirigés vers Zeitoun et une partie de Sabra. À Sabra, ils ont envahi certaines parties, mais le reste est sous les frappes aériennes. »
Maintenant, l'infanterie israélienne - avec ses fantassins, ses chars, ses robots, ses quadricoptères - se lance à l'assaut d'une agglomération où vivent 1 million de personnes déjà affaiblies, selon les estimations communément admises.
Le refus d'une nouvelle errance
Le plan israélien consiste à pousser la population vers le sud, et les autorités affirment qu'elles se coordonnent avec le secteur humanitaire international et les hôpitaux de la ville de Gaza pour ce faire. Mais comme souvent, la réalité du terrain apparaît bien différente de la communication politique et militaire.
« Sur 1 million d'habitant·es, 450 000 n'ont jamais quitté le nord de la bande de Gaza, malgré les opérations militaires, le blocus, la faim, les destructions et les ordres d'évacuation émis dans le passé, explique Amande Bazerolle, coordinatrice d'urgence de Médecins sans frontières (MSF) et familière de la bande de Gaza. Pendant la trêve [du 19 janvier au 18 mars 2025 - ndlr], beaucoup de gens déplacés dans le sud sont revenus. Mais à cause des destructions et des ordres d'évacuation, la population de la ville de Gaza s'entasse dans un mouchoir de poche. Les personnes sont littéralement les unes sur les autres. »
Ayham Louhad, jeune homme de 24 ans joint par Mediapart à Gaza le 20 août, raconte le départ forcé subi dix-huit jours plus tôt, le 2 août. Le jeune employé humanitaire rentrait du travail à son domicile, dans le quartier de Zeitoun, au sud de la vieille ville de Gaza.
« J'ai été prévenu par des voisins, se souvient-il. Ils venaient de recevoir un appel de l'armée israélienne pour nous ordonner d'évacuer. Ce n'était pas le premier, mais c'était différent des autres fois. Habituellement, c'est une voix enregistrée. Là, c'était un soldat qui leur a dit que la familles Louhad - la mienne, donc - et plusieurs autres avaient douze heures pour quitter leurs habitations avant des bombardements massifs et une opération au sol. Finalement, ils ne nous ont pas laissé douze heures. »
« Nous sommes partis sans rien, poursuit-il, juste nos sacs d'urgence, qui sont toujours prêts. À pied, au milieu des bombardements aériens et des tirs d'artillerie. Ma voiture avait été aplatie par des pans de murs d'un immeuble détruit. Notre rue était bloquée par deux bâtiments écroulés. »
Ayham et ses proches, déplacés dans le sud de la bande côtière en octobre 2023, comme l'avait à l'époque ordonné l'armée israélienne, étaient revenus chez eux à la faveur du cessez-le-feu de janvier 2025, à l'instar de centaines de milliers de personnes. Et depuis, refusaient de bouger.
« Quand nous étions revenus, nous avions trouvé notre immeuble familial très endommagé. Nous avions réparé les deux premiers étages, racheté des panneaux solaires, rétabli l'eau. Tout cela nous a coûté beaucoup d'argent. Surtout, nous avions retrouvé nos voisins, notre quartier. On se connaît tous, depuis toujours. Nous ne voulions pas recommencer une errance dans le sud », relate-t-il.
La famille Louhad et l'ensemble de leurs voisins ont donc décidé d'ignorer les ordres de déplacement émis et choisi de vivre dans une « no-go zone », explique-t-il. Le 2 août, la décision de partir a, cette fois-ci aussi, été prise collectivement. Avec une raison supplémentaire pour Ayham : l'assassinat de son grand frère Haitham par un quadricoptère israélien quelques jours avant, le 27 juillet.
« Il était allé récupérer des affaires dans la maison d'un ami, avec celui-ci et sa femme, dans une zone que les soldats israéliens venaient de quitter. Ils ont été tués tous les trois. Je ne veux pas vivre la perte d'un être cher une nouvelle fois, et puis maintenant, je suis responsable de ma mère, ma sœur, la veuve de mon frère et leurs quatre enfants », reprend Ayham.
Ils sont donc partis, avec ces sacs d'urgence que tous les Gazaoui·es tiennent prêts. Mais ils ne sont pas allés très loin : ils se sont arrêtés à Tal Al-Hawa, un autre quartier de la ville de Gaza, plus proche de la mer. Ayham a déniché par l'intermédiaire d'un ami un local minuscule, la réserve non utilisée d'un magasin, et l'a sommairement aménagé.
« L'armée nous a ordonné de partir vers Al-Mawasi Khan Younès, au sud. Mais nous ne voulons pas quitter la ville de Gaza, explique encore Ayham. On entend bien les informations et les rumeurs, qui disent que tous les habitants de la ville de Gaza vont être évacués vers le sud, peut-être dans deux ou trois semaines. Mais nous avons décidé de rester ici à Gaza pendant ces deux ou trois semaines et de respirer l'air de notre Gaza avant qu'ils ne la détruisent complètement, comme ils l'ont fait à Rafah. »
Une destruction continue
« Notre Gaza adorée » est une expression que répète à plusieurs reprises dans notre conversation le jeune homme visiblement très ému : « Vous avez vu Rafah ? Il n'en reste rien. Rien. Pas un bâtiment debout. Ils veulent faire la même chose ici, ils ont commencé à Toufa, et puis à Zeitoun, à Sabra, à Jabalia. »
Amjad al-Shawa, de son immeuble de Rimal, ancien quartier cossu de la ville de Gaza, au nord de Zeitoun et Sabra, voit les panaches de poussière et de fumée des explosions d'immeubles, à trois ou quatre kilomètres seulement de chez lui. « Pendant que les troupes avancent, elles détruisent tout ce qui se trouve devant elles, tous les bâtiments. Peu importe de quel bâtiment il s'agit, constate-t-il. Le quartier avait déjà été occupé et très endommagé. Mais aujourd'hui, on peut dire que 90 % le sont. »
Selon l'agence onusienne chargée des affaires humanitaires, l'Ocha, 16 000 personnes ont quitté les quartiers est de la ville de Gaza entre le 12 et le 20 août, pour l'ouest de la ville et le sud.
« Faire bouger vers le sud un million de personnes qui n'en ont pas envie ne sera pas une mince affaire, constate Amande Bazerolle de MSF. Il n'y a pas d'espace libre, dans le sud, chaque mètre carré est occupé. Les Israéliens parlent d'une "cité humanitaire", mais nous ne savons pas ce que cela recouvre et n'avons rien vu jusque-là. Un autre scénario serait que les Égyptiens ouvrent Rafah. Dans ce cas-là, beaucoup quitteraient la ville de Gaza, mais pour quitter le territoire. Cela ne semble pas à l'ordre du jour. »
Seule certitude des humanitaires : une aggravation de la situation est prévisible. « Si les rues sont impraticables car trop dangereuses, l'accès aux soins sera encore plus difficile, ainsi que l'accès à l'eau, si nous ne pouvons plus déplacer nos camions-citernes pour en distribuer », s'alarme la coordinatrice des urgences de MSF.
Quitter la ville de Gaza, son quartier de Rimal, Amir Helles s'y prépare. Ce médecin s'est mis à chercher, en tout cas, un logement dans le centre de l'enclave, à Deir Al-Balah, épargnée jusque-là par les offensives terrestres. Sa famille - père, mère, épouse, frères et sœurs - compte huit personnes.
« Je ne trouve rien, constate-t-il. Un appartement de 70 mètres carrés se loue 1 300 euros. C'est beaucoup trop cher pour ma famille. Du coup, je demande à des connaissances s'il n'y a pas un terrain de 100 mètres carrés où nous pourrions mettre deux tentes, en attendant. »
Comme Amir, comme Ayham, ceux et celles qui vivent dans la ville de Gaza attendent. Des nouvelles du cessez-le-feu. Des ordres de déplacement. « Nous devenons fous à force d'y penser et d'essayer d'anticiper. Nous sommes comme des fétus de paille, remarque Ayham. Nous ne savons rien, nous nous sentons perdus et abandonnés. »
Gwenaelle Lenoir
Mediapart du 21 août 25
Source : message reçu le 22 août 10h